La Tribune publie, sous ce titre, "Il faut entendre le sentiment d'injustice dans notre société" un long entretien avec François Chérèque, dans son édition datée du 23 mars.
Sur le plan social, quel enseignement l'exécutif doit-il tirer du scrutin régional ?
François Chérèque - Je retiens tout d'abord le cri assourdissant de l'abstention. Les gens ont le sentiment qu'on ne s'occupe pas d'eux. Par ailleurs, s'exprime clairement un désaveu des politiques menées par le gouvernement. Ce message s'adresse à lui.
Faut-il un virage social dans la politique gouvernementale ?
Il faut partir de la situation sociale. Le chômage augmente et va continuer à progresser. Les destructions d'emploi n'ont jamais été aussi fortes qu'en 2009 et la masse salariale a reculé de 1,3%. Si, compte tenu de ce constat, le gouvernement estime qu'il en a fait suffisamment, on court à la catastrophe. Il y a des alertes sociales qui ne peuvent pas laisser indifférents le gouvernement et le patronat.
Partagez-vous l'optimisme du gouvernement sur l'évolution du chômage ?
Je ne me nourris pas au pessimisme. Mais les déplacements que je fais sur le terrain montrent que la situation ne s'améliore pas avec des plans sociaux qui se multiplient et de la souffrance au travail. Ce sentiment est partagé dans le secteur public comme dans le privé. C'est explosif !
Le patronat vient de créer un comité « emploi » pour réfléchir à de nouvelles formes d'emploi. Qu'en pensez-vous ?
Je crains qu'avec ce comité, on rajoute encore de la flexibilité. Or, la crise a déjà provoqué une très forte hausse de la flexibilité dans les entreprises. Et la reprise se fera par l'intérim, les heures supplémentaires et la précarité. On ne peut pas faire pire.
Sur le partage des profits, pouvez-vous tenir le calendrier du chef de l'Etat qui vous a donné trois mois pour négocier ?
Le président de la République a raison de faire pression sur le patronat pour qu'il bouge. Les profits redémarrent alors que la détresse sociale s'accentue. Nous voulons renforcer le poids des salariés sur les décisions stratégiques de l'entreprise.
Sur les retraites, vous vous êtes prononcé en faveur d'une réforme «systémique », c'est-à-dire une remise à plat de l'ensemble du système. Une trop grande ambition ne risque-t-elle pas d'aboutir à l'inaction ?
La réforme des retraites n'est pas un débat technique, c'est un débat de société. Faire une réforme jouant uniquement sur les paramètres (durée de cotisation, âge de départ en retraite...), ce serait accepter les inégalités du système, même les accentuer. On ne peut régler les inégalités que par une réforme en profondeur.
D'autres organisations syndicales, dont Force ouvrière, estiment qu'il ne revient pas au système de retraites de régler le problème des inégalités au sein du salariat ?
Mais comment faire admettre une réforme difficile, si elle pérennise les inégalités ? Les moins de trente ans sont persuadés qu'ils vont payer pour la réforme, mais qu'ils n'auront droit à rien. Ne pas corriger les inégalités, c'est les pousser à faire le choix des fonds de pension
Faut-il calculer la retraite des fonctionnaires non pas sur la base des six derniers mois de salaires, mais sur celle des 25 meilleures années, comme dans le privé, comme l'a suggéré François Fillon ?
Cette idée relève de la communication, de la démagogie. Elle est, du reste, abandonnée car sa mise en œuvre serait extrêmement coûteuse. Il faudrait intégrer les primes des fonctionnaires dans le calcul des retraites, ce qui coûterait extrêmement cher.
Le gouvernement pointe une amélioration en matière d'emploi des seniors. Etes-vous d'accord ?
Le taux est tellement mauvais qu'il ne peut que s'améliorer. Mais l'évolution est très minime - à peine 1%. Il n'y a pas de changement de fond. Le comportement des entreprises ne varie pas.
Comment prendre en compte la pénibilité ? Faut-il adopter une approche médicale, comme le suggère la présidente de la Cnav, Danièle Karniewicz?
On peut être apparemment en bonne santé, à 55 ans, après des années à la chaîne. Mais l'usure profonde n'est pas toujours visible avant 60 ans.
Lors de votre congrès, outre les retraites, allez-vous vous poser la question de votre efficacité sur le terrain ?
Notre fonctionnement doit s'adapter à la nouvelle donne dans les entreprises et le monde du travail, et renforcer notre proximité avec les salariés. Ce sera au cœur de nos débats. Nous allons demander aux équipes syndicales de s'engager pour faire des changements d'organisation. Et nous ferons un bilan à mi-parcours, deux ans après le congrès.